Penser la Révolution aujourd’hui - Intervention 3

Publié le par Jacques Ducol

Quelles perspectives actuelles pour l’action révolutionnaire ?
 
Si reste valable l’idée que « la révolution est impossible sans une crise nationale affectant exploiteurs et exploités », (Lénine, La maladie infantile du communisme), quelle théorie révolutionnaire pour un nouveau mouvement révolutionnaire ?
 
1) Rejet de l’idée de révolution, un aspect de l’idéologie dominante
1-Par la lutte idéologique pour déshistoriciser les rapports sociaux et faire de la réalité du capitalisme le cadre indépassable de l’aventure humaine
2-A travers la conception réformiste de l’antagonisme capital / travail qui ne pourrait être dépassé (le capitalisme comme ultime forme sociale car elle seule a conquis le monde, ralliement à « l’économie de marché »)
3-D’une manière théoriquement plus subtile en opposant de façon abstraite gouvernement et révolution : « Que toutes les révolutions connues dégénèrent, ce n’est pas un hasard ; c’est qu’elles ne peuvent jamais, comme régime institué, être ce qu’elles étaient comme mouvement… Les révolutions sont vraies comme mouvement et fausses comme régimes »
4-En liant révolution et totalitarisme : Arendt (Les origines du totalitarisme), le caractère utopique de toute révolution mène nécessairement au totalitarisme (opposer le caractère démocratique et pacifique de la révolution américaine à l’idéal sanguinaire de la « vertu » de l’Incorruptible) ; voir aussi F.Furet
 
2)-Quelles nouvelles perspectives révolutionnaires ?
1-Nécessaire retour à Gramsci pour repenser le concept et la pratique de la transformation au cœur de la « révolution passive » du capitalisme global :
1-le concept gramscien de révolution passive, ou « révolution sans révolution », peut être appliqué à l’étude de tous ces phénomènes de profondes mutations économiques, sociales, culturelles directes ou gérées par les classes dominantes, accompagnées d’une lutte idéologique intense qui vise à favoriser l’adéquation passive des mentalités et des habitudes collectives aux exigences économiques dominantes.
exemple : le fascisme mussolinien qui serait « la forme de révolution passive propre au XXème siècle comme le libéralisme l’a été au XIX ème »
2-la question centrale de l’hégémonie, à la fois comme concept et comme perspective stratégique : parvenir à l’hégémonie (matériellement possible) des producteurs et des classes subalternes (= masses populaires) dans la mesure où elle est la condition permanente d’une société politique qui règle les conflits de classe par un pouvoir fondé sur la force et lié aux rapports de production
3- la condition permanente d’une société politique qui règle les conflits de classe par un pouvoir fondé sur la force et lié aux rapports de production
4--Chez Gramsci, passage d’une vision de la transformation révolutionnaire centrée sur la prise du pouvoir (cependant non négligée !) à une autre centrée sur la lutte pour l’hégémonie : l’antithèse gramscienne entre domination et subalternité permet d’affronter la question du rapport entre le conflit originel capital / travail et les conflits qui aujourd’hui apparaissent à propos de l’environnement, de la sexualité, de l’identité culturelle, du féminisme etc .
 
2-Repenser la lutte des classes : les thèses de Jacques Bidet
1-L’idée de départ : la société moderne ne se réduit pas à son « être capitaliste » traditionnel (par exemple la propriété privée des moyens de production, les institutions et les pratiques qui s’y rattachent), mais que la production publique de richesses, débordant ce cadre, est partout considérable grâce aux différents systèmes organisés que sont par exemple l’enseignement, la santé ou l’administration. (l’exploitation du travail humain, et par voie de conséquence la lutte des classes prennent donc nécessairement des formes nouvelles).
2-La classe capitaliste dominante « comporte donc deux pôles, l’un autour du procès marchand, l’autre autour du procès organisationnel. L’un où fonctionnent des titres de propriété » (rôle des actionnaires etc.), « l’autre où s’exhibent les titres de compétence reconnue »
3-Ainsi, la classe dominante ne peut exister, maintenir et accroître sa domination que par l’articulation de ces deux pôles que sont le marché et l’organisation, deux fonctions corrélatives mais néanmoins distinctes  (l’actionnaire ne pourrait pas exploiter le travailleur sans le concours nécessaire du gestionnaire)
4-Situation nouvelle aujourd’hui : le monde ouvrier a perdu sa centralité, sa place stratégique dans la production qui faisait de lui un élément moteur : la lutte des classes n’a donc pas disparu, mais présente des formes spécifiquement modernes qu’il propose de penser, approfondissant et reconstruisant ainsi l’édifice théorique de Marx, à partir des relations complexes d’opposition entre la classe dominante et, nouveauté théorique, ce qu’il appelle la classe fondamentale qui se définit comme « l’ensemble de ceux dont le travail est exploité à travers le rapport de classes spécifiquement moderne, formant de fractions selon qu’y prédomine le marché (paysans, artisans etc.), l’organisation (salariés du public), ou que les deux facteurs s’y conjuguent plus étroitement (salariés du privé). Ils forment une seule classe, que je désigne comme la classe fondamentale. ».
 
3-Le « communisme » est mort, vive le communisme (L.Sève)
1-Ce que Marx a pensé sous le mot de communisme n’a à peu près rien à voir avec le « communisme » : c’est pour lui « le mouvement réel qui dépasse l’état de choses existant »
-vers le dépassement du capitalisme comme dernière forme d’une société de classes vers une société sans classes
-par la résorption de toutes les grandes aliénations historiques du genre humain
2-Le communisme comme seule alternative à ce capitalisme qui conduit l’humanité à sa perte : parce qu’il est mise en privé universelle il prive en conséquence les êtres humains de la maîtrise collective de leurs conditions d’existence et de leurs puissances sociales (avoirs, savoirs, pouvoirs), est donc la forme extrême de l’aliénation humaine => urgence d’une « insurrection générale en faveur du bien commun »
3-Le caractère de classe du communisme concerne non seulement la classe ouvrière mais toutes les forces collectives et individuelles avides de désaliénation : nécessité de rompre avec la culture révolutionnaire traditionnelle (est caduque par exemple l’idée de la conquête du pouvoir d’Etat comme préalable d’une transformation sociale par en haut)
4-Cette désaliénation est inévitablement un processus long hors de portée d’un acte révolutionnaire soudain : réfléchir à l’idée d’une « évolution révolutionnaire », processus multiforme et inégal mais poursuivi avec persévérance dans de multiples actions
5-Nécessité d’une forte rupture symbolique avec une façon de faire de la politique qui est épuisée et dont personne ne veut plus : faire de la politique aujourd’hui avec le communisme, c’est avant tout multiplier les initiatives transformatrices désaliénantes sur tous les terrains et avec la participation du plus grand nombre
6-Absolument conserver le communisme et radicalement dépasser le parti : le combat pour l’émancipation sociale ne peut absolument plus se mener dans le cadre de la sujétion militante.
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