Quelques notes sur l'intervention de daniel Bensaïd
Ces quelques notes n'engagent que leurs auteurs. Elles essaient de traduire un ressenti après la riche conférence de Daniel Bensaïd
C'était le mardi 13 mars à 20 heures 30, à l’invitation du Cercle Jacques-Decour, salle 121 au Centre des Halles à Tours, le philosophe Daniel Bensaïd nous a fait part de ses réflexions et a ouvert le débat avec nous sur :
« Quelle société de progrès (communiste ?)
penser pour le XXIè siècle ? ». Quelques pistes de réflexion puisées dans l’actualité : Les démarches et contre marches de l’actualité électorale présidentielle n’invalident pas la réflexion sur la nécessité d’une autre vision de la société. Elles en constitueraient plutôt l’introduction pour dire l’utilité de savoir vers où on va, afin de ne pas manquer la marche…Nous croyons plus que jamais nécessaire l’élaboration théorique matérialiste, marxiste. Où en est-on aujourd’hui ? Dans la mise en pratique politique de la théorie, naissent des contradictions : faut-il les ignorer ? les subir ? les éviter ? Tout n’étant jamais prévu, que fait-on des imprévus ? Les « nouvelles » classes sociales « vieillissent »-elles les partis et mouvements politiques ? Gilbert Deverines:
Ceci n’est pas un compte-rendu, mais la mise au net des notes prises qui sont le plus souvent une partie de phrase de Daniel, d’autres fois ce que j’en ai retenu (y compris avec déformation), tant cela allait vite, était dense, passionnant, mettant à l’épreuve la capacité, d’écouter, de réfléchir pour bien comprendre, de transcrire, etc. Par avance, je réclame l’indulgence et accueillerai bien volontiers les corrections et compléments que vous voudrez bien me faire parvenir et qui permettront peut-être de mettre à la disposition des absents un texte un peu plus fidèle à la pensée du conférencier à qui nous pouvons, je crois, renouveler nos remerciements. Jean-Louis Bargès : mes propositions sont en vert. Je ne sais pas si c’est fidèle à la pensée du conférencier, mais c’est ce que j’ai retenu ! Ce que j’ai noté du dit de Daniel Bensaïd le 13 mars 2007 Le prolétariat a été souvent au rendez-vous des combats de classe, pour être dans la plupart des cas vaincu. Nous sommes les descendants de ces vaincus. Nous nous débattons dans des rapports de force dégradés, dans un monde de concurrence élargie, acharnée, ouverte sur les nouvelles économies de toutes les parties du monde.
Aujourd’hui confrontés à l’irruption sur le marché du travail de milliards de salariés eux-mêmes mis dans une situation de concurrence acharnée, nous avons à entreprendre un travail de reconstruction qui doit prendre en compte ces réalités.
Sommes-nous pour autant condamnés à nous battre pour l’honneur, avec cet « éternel retour de la défaite », comme disait Louis Blanc ? Cela pose la question du « rôle de la violence dans l’histoire. La violence elle-même change de nature : dans les combats de naguère on pouvait se battre avec l’adversaire, presque à armes égales sur les barricades. Il nous faut à présent mesurer l’écart de moyens dans l’éventualité de chocs de classes.
La violence met aussi en branle des parts obscures de nous-mêmes. (Référence au film La déchirure). Pourquoi les tueries en Asie du Sud- Est (Cambodge) après la longue guerre et la victoire du peuple Vietnamien ? Quel effet sur les sociétés peut avoir une longue guerre de trente ans ? Même s’il s’agit d’une violence légitime, qui porte sa charge de libération. La participation aux élections nous a appris la patience, elle nous a montré que la théorie ne porte pas en elle de solution miracle, qu’il faut continuer à développer des luttes sous-tendues par l’indignation et la révolte, dans un contexte différent. Dans ce contexte, la référence à Marx symbolise beaucoup plus que l’attachement à sa personne ou à sa pensée comme moment de l’histoire de la philosophie aujourd’hui dépassé. C’est ce que voudrait suggérer le titre du magazine américain Newsweek : Marx est mort, publié en 1981. En fait, il y a une actualité de la pensée de Marx comme réflexion sur le capital et les mécanismes de domination mis en œuvre par la classe dirigeante. C’est ce qu’expriment Le spectre de Marx de Dérida ou le livre de Deleuze, qui pourtant n’est pas marxiste, mais pose la question : comment rester marxiste ? Dans Le Grand Karl. Dans notre démarche, nous ne devrons pas oublier l’apport déterminant d’Engels, qui, en fait, est le véritable anti-conformiste du fameux duo, et qui a apporté à Marx un soutien vital indispensable. Les références à Marx et Engels sont motivées par la certitude que les raisons de se battre, de résister, de désirer une autre organisation sociale sont toujours présentes. En fonction de cette analyse, nous pouvons réfléchir autour de 4 thèmes :
- Marx penseur de la mondialisation,
- Trois crises : sociale, écologique morale,
- Les forces de la classe ouvrière,
- Le pluralisme politique.
1 – Marx, penseur de la mondialisation
Description de la mondialisation dans Le Manifeste communiste dès 1848. Un hymne à la mondialisation, ouvrant sur une humanité universelle, une culture universelle…
Marx voit le développement du machinisme, ses succès techniques ; les expositions universelles à Londres à Paris. Il note l’extension du capitalisme par la colonisation. Engels en décrit les techniques militaires ouvrant sur l’industrie du massacre. Cela s’accompagne d’enrichissement des capitalistes, de spéculation sur l’urbanisation, d’accumulation du capital, de recomposition des territoires.
L’humanité devient universelle par la production, les échanges, la communication…La première grande vague de la mondialisation est victorienne ; Elle se trouve à l’intersection de bouleversements techniques, accompagnés de phénomènes financiers centrés sur la spéculation. Elle débouche sur des objectifs mis en œuvre de colonisation du monde entier. Elle est sous-tendue par l’application des nouvelles techniques militaires expérimentées lors de la guerre de cessetion… De nouvelles techniques d’extermination. Dans le même temps, est fondée la première internationale, et se constituent les grands Etats-Nations, comme l’Allemagne ou l’Italie.
Aujourd’hui, nous sommes au stade de la circulation sans limite des fonds, des marchandises, des hommes. Mais les descriptions n’expliquent pas, c’est Marx qui explique la logique du capital, la nécessité de cette logique, du point de vue des capitalistes : raccourcir le cycle de rotation du capital, élargir le rapport marchand à l’ensemble des rapports dans la société, accélérer la productivité, rentabiliser les temps de production, exploiter au maximum le travail, utiliser les différentiels de productivité individuels et collectifs influant sur la concurrence pour dynamiser le profit. L’utilisation des processus de délocalisation permet d’exploiter les différentiels de salaire, d’impôts, de protection sociale, pour détruire les forces de résistance. On assiste à la fois à un accroissement global des richesses et à celui des problèmes sociaux. Marx invite à comprendre le monde ; même si c’est triste ; surtout si on veut le changer. Le livre de Mile Davies Le pire des mondes possibles actualise le constat, il montre que de véritables poudrières sociales existent dans les bidonvilles de la planète. Et de vraies questions se posent, comme celle du foncier et du logement, qui implique que soit réellement abordé le problème de la propriété.
2 - Notre monde est confronté à (au moins) à trois crises :
Ø Le monde connaît une crise sociale : …vers les 2 milliards de pauvres
Ø Crise écologique : les ressources de la planète sont en cours d’épuisement ; le regroupement urbain des populations entre en conflit avec la réduction des espaces disponibles… L’abondance n’est pas sans limite.
Ø Crise morale majeure ; science et conscience ; éthique et politique. Comment maîtriser les technologies qui agissent directement sur le vivant ? Quel usage va-t-on en faire ? Comment le rendre positif à l’humain ?
Des problèmes nouveaux apparaissent, des solutions s’imposent pour résoudre des questions qui viennent en pleine lumière : la répartition du temps (temps productif, temps personnel) – la mesure du dégât écologique – vol du temps de travail - impossibilité de gérer l’avenir de la planète par le marché -
Le débat sur le temps de travail devient essentiel. Les travaux sont de plus en plus hétérogènes, complexes. Des questions se posent sur le « vol du temps de travail (et de vie) d’autrui ». Dans un contexte où le travail a cessé d’être source de toute richesse.
3 – Les forces de la classe ouvrière
Quelles sont les forces de cette classe en qui Marx voyait le fossoyeur du capitalisme ?
Le prolétariat n’a jamais été numériquement aussi important (Chine, Inde, Brésil…)
Même si, en France, la part des ouvriers dans la population active a diminué de 35 à 24 % de 1970 et 2000.
Pourtant, on éprouve de grandes difficultés à faire du collectif, car les politiques détruisent les solidarités et accroissent les concurrences. On est plutôt dans une phase de décomposition des forces de résistance.
Il faut Reconstruire…essayer, car on sent que depuis 1995, quelque chose a changé. La question sociale est beaucoup plus présente. Il faut raviver la conscience de classe, la prise en compte des antagonismes de classe qui seule crée un lien dépassant les ethnies, les religions…) Il faut travailler sur ce lien commun. Il y a eu des périodes, au XIX°, au XX° siècle, où le critère d’appartenance de classe dominait les autres de manière évidente. Aujourd’hui, la réalité est plus diverse, et le problème pour le prolétariat est de construire une hégémonie qui donne un avenir à d’autres intérêts que les siens. Il faut penser la pluralité sociale et politique. C’est ce que les marxistes au pouvoir au XX° siècle n’ont jamais su faire.
4 – Pourquoi l’échec ? Difficultés à penser le pluralisme politique!
Le communisme (le stalinisme, plutôt) a échoué par manque de pluralisme.
La Commune au contraire fut un exemple de dictature du prolétariat ET de pluralisme politique, démocratique.
La commune de Paris a agi en respectant la pluralité de pensée et d’origines sociales, et a mis en cause les privilèges, a développé une attitude laïque. L’ambition de libérer la société entière était alors l’expression du pouvoir des travailleurs. La commune a été vaincue, mais a laissé un souvenir positif dans l’ensemble du mouvement ouvrier. (Ce n’est pas le cas des pays du bloc soviétique, apparemment).
Cette attitude (pluraliste, libératrice) suppose l’abondance, afin de mettre en pratique le principe révolutionnaire : de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins.
Nous sommes aujourd’hui dans une logique d’abondance, mais en même temps confrontés à d’immenses inégalités, et à la question de la crise écologique, que nous avons à résoudre.
Il faut « corriger Marx avec Aristote », trouver des procédures de partage, donner plus à ceux qui ont le plus de besoin.
Corriger Marx par Aristote ; le partage n’est pas l’égalité ; la vraie égalité, c’est la proportionnalité. Qui fait les choix ?
Le thème du parti unique est à dépasser par le pluralisme politique : il n’y a pas de peuple homogène, et les différences sont une richesse qui doit pouvoir s’exprimer.
Pour terminer : regard sur les élections et la suite
Mettre la barre haut. Où veut-on aller ? Pas de politique du moindre mal. Les exemples du Brésil avec le PT et de l’Italie avec Reconstruction ne sont pas encourageants et sont générateurs de désillusions.
* Dans le cours de la discussion
En réponse aux questions posées, j’ai noté des bouts de phrases :
Arguer de la nécessité plutôt que du possible… Et rendre possible la nécessité.
Les économies solidaires, les nouvelles formes d’économie sont des tentatives sympathiques qui progressent, c’est intéressant… mais pas encore à l’état d’alternative, de projet.
Ne pas se faire d’illusions sur les microcrédits. Pas plus que sur l’ingéniosité architecturale des constructions de bidonvilles dans la proximité des mégalopoles.
Lire, à la fin du Manifeste Communiste, la partie consacrée aux fausses utopies.